ABATTIS
Jeanne de KAMPTCHOUANG achète ou troque des chaises en bois et les collectionne voire les affectionne. Parmi elles, certaines n’ont pas été utilisées, n’ont pas fonctionné ou vécu et ce sont celles-ci qui l’intéressent pour cette installation qu’il nomme "Abattis".
Ces chaises qui ne fonctionnent pas alors qu’elles survivent sont, pour lui, en souffrance. Elles pâtissent d’avoir été délaissées, abandonnées, leurs propriétaires s’étant subrepticement détournés d’elles au profit d’autres, pour s’adapter à une nouvelle mode.
Le processus d’uniformisation des humains transforme des chaises pourtant neuves en squelette obsolète comme un arthropode trop empressé se débarrasserait d’une carapace qu’il aurait pu conserver.
Un an après le débat sur « l’accompagnement à la souffrance », il décide de démembrer à la scie ces chaises en pleine affliction afin d’abréger leur agonie et leur offrir une mort digne. Jeanne rassemble soigneusement les différents éléments de chaque corps : dossier, assise, châssis, pieds, traverses, écrous, boulons, ressorts… pour en constituer comme un fagot de bois mort. Il leur donne un nouveau rythme en les installant tels des corps sans âme, mais avec une nouvelle énergie et de nouvelles possibilités.
Disparate, chaque chaise incarne une métaphore de l’Homme. C’est une chaise mais on ne peut plus s’asseoir dessus, elle a perdu sa fonction d’artefact, sa qualité, son chemin originel. Un chemin qui peut-être n’était pas le bon. Leur présence dans cet arrangement, mathématiquement ordonné, leur confère désormais un autre statut. La chaise devient la garante d’une réflexion critique sur la position politique, sociale et spirituelle de l’Homme.
ABATTIS 1, chaises dépecées
ABATTIS, chaises dépecées, papier journal, film étirable, scotch, bouteille de grigri indiquant les places réservées.
JE FAIS SEMBLANT
Voir, Lire, Dire, Écouter, Écrire,
L’écrit est une présence. Jeanne de KAMPTCHOUANG utilise le Verbe pour soutenir sa démarche d’artiste / penseur critique.
Il surprend le spectateur par ses phrases écrites à la main au pastel qui renvoie à nos petites
connivences avec la vérité de soi : une auto-analyse en somme. Ce que nous sommes vraiment et ce que nous voulons paraitre aux yeux de la société, ce que nous dissimulons.
Il interroge le statut de l’individu et sa pratique en société, lui demande une réflexion introspective.
Par exemple, il conjugue sur plusieurs supports : « je fais semblant ». Et cela nous parle encore plus quand l’inscription écrite sur un miroir nous renvoie notre propre image, au plus proche de la vérité.
Incisif avec maturité, sans illusion sur la nature humaine, mais avec tendresse et une grande
délicatesse de rendu ... Jeanne poursuit en espace / temps son exploration de l’Humain et sa traduction esthétique et éthique.
J'AIME LE MONDE ET LE MONDE M'AIME,
Planches à repasser, table du banquet.
Chaque planche à repasser symbolise une grande puissance du G20 dans leurs jeux d'influence et stratégies, tels des missiles autour de la bombe convoitée. Leur réunion incarne le caractère policé des tensions géopolitiques à l’œuvre dans le monde.
Projet réalisé pour la Biennale de Kaunas, à partir du texte/poème - Ça nous tend, ça vous détend - écrit pendant ma résidence en Géorgie en 2016
Texte-poème : Ça nous tend, ça vous détend, écrit pendant ma résidence en, Géorgie, 2016
Carte postale : Ça nous tend, ça vous détend,
PASTAS, Porte, miroir, plomb (enseigne de l'ancienne poste de Kaunas) film plastique rouge
I AM AN ANIMAL
Installation constituée de 6 abattants de WC fixés au mur et un double battant de bois de coffrage posé au sol.
Sur le premier battant, il est écrit: «I AM AN ANIMAL» et sur le second : «MAIS CE SONT DES FOUS».
Ici, l'installation est inaccessible au public, mais visible à travers les deux hublots présents sur les portes d’entrées.
Piqûre de rappel, ancienne valise de médecin, chaise,
Take my breath away,
Voici un stand. Un stand que l’on trouverait sur la place du marché et qui forme une scène colorée, chatoyante, attirante, familière. Des cagettes aux tons pastel s’offrent à la vue et à la portée du visiteur, le sol est jonché de détritus, une balance traîne au sol tandis que la radio diffuse les nouvelles du monde, donnant le sentiment que le vendeur s’est absenté pour un moment. Voici un moment quotidien, universel et suspendu alors que le cours du monde poursuit sa route.
Happé par une mise en scène dont il connait les codes, le visiteur est invité à jouer le jeu de l’installation. Et alors qu’il fait face à ces cagettes qui l’invitent tantôt à se servir, tantôt à observer des objets étrangement quotidiens s’opère imperceptiblement, subtilement et véritablement une grande transformation où le visiteur devient acteur de l’installation. Et alors qu’il s’interroge en maniant les objets : « mais, de quoi s’agit-il ? », l’artiste nous pose cette terrible question : « mais, par quoi est-il agi, ce visiteur qui entre ici ? »
Au centre de l’installation, c’est ainsi toujours à lui-même que le visiteur se trouve confronté. C’est son propre regard qu’il lui faut soutenir et c’est sa propre image à laquelle est associé un prix au-dessus de la balance. Moment de bascule, de mise en abîme de sa propre place dans le jeu du Marché. Et à la question « qui est convié sur cette banale scène de la place de marché ? », on hésite alors : le spectateur ou le consommateur ? l’acteur ou le contemplateur ? l’acheteur ou l’usurpateur ?
Dans ce moment, à la fois suspendu et continu, l’artiste nous invite à observer comment se joue anthropologiquement le processus de marchandisation du monde. Un processus en cours de construction, d’ailleurs signalé comme tel. Marchandisation de la terre et de ses fruits, marchandisation du travail et de l’activité humaine, marchandisation de l’échange enfin, qu’incarne la balance dans sa dimension la plus concrète. Ce processus familier, étrangement quotidien, à la fois suspendu dans l’abstraction et pourtant toujours en cours est cette grande transformation qui œuvre de façon invisible et qui altère quiconque s’en approche. Aliéné d’une portion de son âme devenue marchandise et confronté au souvenir de l’image de soi dans le Marché : de l’échange qui se trame entre le visiteur et l’artiste, aucun des deux ne sort entier. Bonheur individuel et utilitariste ou déni collectif ? Mais ... peut-on seulement choisir ?
Marion ARNAUD
Sociologue
Servez-vous
Servez-vous
Servez-vous
Réservé
Servez-vous
Servez-vous
La portion
Servez-vous
Servez-vous
Réservé
Réservé
Comment se poser un lapin, bleu, sans se faire de faux bons dans l'herbe, chaise, pot de fleur, tasse de café, tapis bleu, miroir, livre pour enfants: Quelle heure est-il ?,
et photo de la chaise même.
PROSTERNATION COMMUNE
A vous qui lirez ce texte, interrogez-vous : que cherchez-vous en lisant ces lignes ? Quelle(s) signification(s) voulez-vous trouver dans ce texte qui soit autre que ce que vous disent vos propres sentiments et votre propre jugement face à l’œuvre qui se dresse en face de vous ? A quoi bon parler de quand une pièce parle d’elle-même, quand elle ne s’adresse pas seulement à nos têtes mais à nos entrailles ?
PROSTERNATION COMMUNE nous invite à explorer ce qui est le plus universel et le plus humain en nous. Le quotidien. La subsistance. Le sens de la vie dans sa matérialité la plus crue. Le mouvement de ces milliers de pains récoltés dans les invendus des boulangeries du quartier dessine ce qui ressemble à une tour, à un abri, à une forme culturelle humaine trop humaine. En creux, elle interroge la légitimité des religions et des dogmes de toutes natures qui théorisent les formes dominantes de ce qu’est la quête de salut de l’espèce humaine.
PROSTERNATION COMMUNE une œuvre viscérale. Et le vertige qui nous saisit devant cet empilement de pains en dit davantage que tous les textes qui expliqueraient le sens qu’il faudrait lui donner.
Cette pièce est un monument à la fois modeste et grandiose à la mémoire que ce qu’aurait pu être et de ce que serait une religion universelle de l’humanité affranchie du poids de l’écriture et de la culture.
Marion ARNAUD
Sociologue
COMMON PROSTERNATION
You, who are about to read this text, ask yourself: what are you looking for when reading these lines? What meaning(s) do you want to find in this text that is other than what your own feelings and your own judgment tell you about the work in front of you? What is the point of talking about when a piece speaks for itself, when it is not only addressed to our heads but to our insides?
COMMON PROSTERNATION invites us to explore what is most universal and most human in us. Everyday life. Subsistence. The meaning of life in its raw materiality. The movement of these thousands of loaves of bread collected from unsold neighborhood bakeries creates what looks like a tower, a shelter, an human all-too-human cultural form. In essence, it questions the legitimacy of religions and dogmas of all kinds which theorize dominant forms of what the quest for salvation of the human species should be.
COMMON PROSTERNATION a visceral work. And the dizziness we feel in front of this pile of loaves says more than all the texts which would explain the meaning that should be given to it. This piece is a monument, both modest and grandiose, to the memory of what could have been and what would be a universal religion of humanity freed from the weight of writing and culture.
Marion ARNAUD
Sociologue
Prosternation commune, tour de 3,7 mètres de hauteur constituée de 1993 pains de tous
genres
SALLE D'ATTENTE,
SALLE D'ATTENTE, huit crânes en matériaux différents suspendus à un crochet de bouché, le tout fixé en hauteur près d' une entrée,
250 x 35 x 20 cm
ON ARRIVE,
Le projet porté dans ce travail que j’appelle: « On arrive » est autobiographique. Il est en même temps une sorte de narration des événements de l’histoire ou des faits de société auxquels nous pouvons tous être témoins et dans lesquels je suis nécessairement impliqué.
Ce travail prend sa source dans une des chambres de chacune de mes maisons familiales: deux chambres privées et sacrées abritant ceux qui sont partis avant nous et dont la présence est visiblement marquée par l’installation de leur crâne exhumé. Dans mes villages où on croit de moins en moins aux morts, chaque concession possède encore sa case ou sa chambre sacrée. Des lieux réservés aux rites et aux ancêtres restent visibles le long des rues et sentiers.
Là bas, les morts ne sont pas morts. Ils s’hébergent chez eux, ils vivent avec nous, ils sont dans l’air qui se réchauffe, ils sont dans l’eau qui devient rare et ils boivent aussi du coca-cola, ils sont sur le net, ils ‘’likent’’ et ‘’twittent’’ aussi, ils sont dans les musées, ils sont dans la forêt qui disparaît, ils vont au MacDo, ils sont dans les rues, dans les marchés, ils vont chez Louis Vuitton, ils sont dans la campagne, ils sont en ville,… ils sont partout. Ils vont et viennent comme tout le monde.
Mes ancêtres croyaient déjà en leurs précurseurs. Mes parents, quant à eux, croyaient en leurs parents, en leurs disparus, mais aussi en Dieu; et nous, leurs enfants ne savons pas trop où nous sommes.
En ce qui me concerne, plus je cherche à comprendre, plus je me laisse bercé par les flots de croyances qui fusent de toutes parts.
Enfant, je me retrouvais déjà dans des églises ou dans des chapelles les dimanches avec ma mère et mon père respectivement protestante-animiste et catholique-animiste. Je me suis aussi rendu dans une mosquée plus d’une fois avec mes voisins musulmans. Et très souvent, je suis avec mes ancêtres puisqu’on habite encore chez eux quand on rentre aux villages.
Dans ces espaces sacrés et intimes, nous sommes toujours juste entre nous, membres de la même famille, vivants et morts, visibles et invisibles. Nous sommes, semble-t-il, en communication directe et en symbiose avec nos dieux. Ceux-ci seraient les garants de notre bien-être, de notre sécurité, de notre réussite… au prix, de temps en temps, de notre attention envers eux. Un culte qui demande en plus du respect de certains codes des religions monothéistes, l’utilisation d’objets allant de l’alimentaire à l’usuel en passant par le Verbe. Ils seraient très frillants de sel, de riz, d’huile de palme, de coq, de poule, de mouton, d’alcool, de vin, de bonbons, de sucre,…, ou encore de notre présence régulière.
Ce culte des crânes comme toutes les autres religions a pour but principal: une vie bonne pour nous, les mortels.
Une question philosophique primordiale dont les religions traditionnelles seraient aujourd’hui incapables de résoudre, du fait peut-être de leurs pratiques inadaptables avec le temps et l’espace. Le temps n’emporte rien avec lui et l’espace ouvre encore plus grand ses portes et se réjouit des différents mouvements humains qui pullulent et éclairent les populations qui tournent malheureusement totalement le dos à des croyances qui nécessiteraient peut-être un peu plus d’attention.
Ce qui s’est passé en occident avec les lieux de culte, arrive de plein fouet en Afrique et dans mes villages en particulier. Les cases des rites sont abandonnées, les tradi-praticiens disparaissent, les traditions s’éteignent et les populations sont livrées à leur triste sort, au libéralisme plus précisément. Un libéralisme qui conduit à un capitalisme qui détruit et liquéfie tout. Plus rien n’est sublimé.
Une dé-sublimation qui pousse à la surconsommation au point où même les dieux sont échangés et vont aux oubliettes comme s’il s’agissait de logiciels gratuits.
Entrée de l’installation : On arrive.
Porte d'accès à cette pièce est construite volontairement très basse, semblable à celle des cases sacrées dans les chefferies de l'ouest Cameroun, obligeant avec subtilité le visiteur à se prosterner devant l'oeuvre.
Bol contenant divers bonbons et chocolats est posé sur un socle.
Au mur, une feuille sur laquelle il est écrit:
«J’aime bien me trouver dans cette salle. La pièce de ceux qui sont partis devant.
A l’intérieur, je me sens bien et ça me fait du bien.
En sortant, n’hésitez pas à vous servir en bonbons ou en chocolats.
ça aussi, ça me fait du bien! »