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Texte : Jeanne de KAMPTCHOUANG

 

Il y a peut être une autre raison

Au moins une fois dans sa vie, on s’est surpris en train de penser qu’on n’est pas venu sur cette terre pour faire seulement les choses par contrainte ou dictées par les autres, qu’on n’est pas ici uniquement pour payer les factures ou les impôts.

 

Il y a peut être une autre raison d’être, non? 

 

Quelque chose qui nous réjouirait, nous égayerait, nous épanouirait… au point où on ne verrait plus passer le temps, on ne saurait plus si on est intelligent ou pas, si on est riche ou pauvre, on ne saurait plus de quelle race on est. Quelque chose qu’on ferait pour se sentir à sa place, pour se sentir rayonner. Cette chose ou cette place se trouve je ne sais où, mais quelque chose en moi me dit que cette place existe et qu’il faut la trouver.

 

Comment donc la trouver? 

 

Cette place correspondrait-elle à un ensemble, à une série ou plutôt à une succession de petites places? Ou alors serait-elle comme une devinette introuvable, une énigme? Une quête incessante, comme un chien qui court après sa queue sans jamais l’attraper. Notre raison d’être serait-elle cet ensemble de places qu’on cherche à occuper tout au long de notre vie, comme on cherche sans cesse la Vérité ? 

Cette quête permanente de la vérité c’est-à-dire de notre place ou de notre raison d’être c’est 

également la mienne que je dévoile et décline sous forme de sculptures, de peintures, de 

performances… d’objets spécifiques.

La place que je symbolise par une chaise est l’objet qui nous dicte, peut être par le biais de la 

pensée, la vie que nous menons. Ainsi, un trône dictera la vie de roi, une chaise présidentielle imposera la vie de président, une table banc fera vivre à celui qui l’occupe la vie d’élève... 

Et la pensée est selon moi, l’élément à travers lequel l’Homme existe mais également l’élément qui empêcherait ce dernier d’exister. 

En effet, toutes nos actions ne tendent qu’à créer du plaisir, à obtenir ce qu’on veut ou à rejeter les choses indésirables. C’est ce que Sigmond Freud appelait: «principe de plaisir». Cette conception des choses qu’on veut et qui devient parfois incontrôlable constitue le coeur de mon travail.

Je me sens dans un monde en panne de spiritualité, où l’on passe notre temps à chercher le bonheur à l’extérieur de nous-même comme s’il s’agissait d’une chaussure bon marché. Gustave Jung disait à ce sujet: «celui qui regarde à l’extérieur rêve et celui qui regarde à l’intérieur est éveillé».

J’essaie alors de créer des places, des espaces, des lieux de passages pour les pensées nouvelles, où l’on pourra se reconnecter à la spirale de vie, à la loi du changement, où l’on pourra rayonner autrement, avec le monde. 

Texte : Jeanne de KAMPTCHOUANG

Un être humain qui nait c’est une place qui se crée. Cette place, tout au long de notre vie nous suit. Nombre d’entre nous, pendant ce temps, fuyons cette place en usurpant des identités factices, par souci de bien paraître dans la société. Mais qui décide qu’une telle place est plus honorable à occuper ?  

 

La condition humaine, la place de l’individu dans son environnement, dans le monde qu’il façonne ou plutôt qu’on lui façonne, m’interpelle. 

Par expositions de constats et de récits révélant un questionnement sur soi, je mets en relief les différents rapports au monde à travers une écriture plastique à mi-chemin entre expérience intime et histoires collectives. J’interroge la manière dont les valeurs culturelles, les conflits et les traumatismes résultent de constructions et d’héritages.

 

Les problématiques de la place et du statut de l’Homme dans la société sont notement exprimées à travers la représentation symbolique de la chaise présente en peinture, en installation et en performance. 

 

La chaise, comme attribut de la position sociale et politique de l’individu.

 

Collectant des objets, des choses, des artefacts qui n’ont parfois aucun lien commun au préalable, je les assemble, les rassemble.

Un processus qui me permet de jouer avec les paradoxes d’une société contemporaine en panne de spiritualité, d’identité et de repères.

Mes études de bio chimiste m’ont ouvert à la préparation, à la combinaison et au travail des couleurs, à la matière sous toutes ses formes végétales, naturelles et synthétiques. Des éléments que j’aime étaler, superposer, gratter, poncer, frotter et caresser à la main afin d’obtenir des formes et sentir l’évolution du travail. Un langage qui allie papier mâché, sciure de bois, cordes, tissus auxquels viennent s’associer par vagues successives : pigments, acrylique, peinture à l’huile, codes picturaux aux pastels, crayons, fusains... aux couleurs insolentes et chaudes.

 

Omniprésente dans mes réalisations, l’écriture traduit ma pensée et amène à l’introspection car elle vient marteler la question sur la vérité de l’individu. La pensée est l’élément à travers lequel l’Homme existe mais également l’élément qui empêcherait ce dernier d’exister. En effet, toutes nos actions ne tendent qu’à créer du plaisir, à obtenir ce qu’on veut ou à rejeter les choses indésirables. C’est ce que Sigmund Freud appelait : « principe de plaisir ». Cette conception des choses qu’on veut et qui devient parfois incontrôlable fait partie du coeur de mon travail.

 

Des questions, de codes picturaux demeurent en suspens : Quelles sont leurs limites ? Quelles influences ont-elles ? Qu’apportent-elles au monde ?

Artiste : Jeanne de KAMPTCHOUANG

Texte : Cecilia Becanovic

 

« Le noyau même est encore pelure. »

 Hugo Ball

 

J’ai vu un jour Jean Roméo Kajero dans une situation que je n’ai jamais oubliée. Le corps tendu derrière un étalage rempli d’oignons, il lança à qui pouvait l’entendre depuis ce bout de trottoir un « Meurs ! » qui me paru alourdir l’air et vider instantanément la rue.

Comment recevoir semblable injonction dans un espace aussi ouvert et instable que celui de la rue ? Je me demandais, à ce moment-là, si pareille situation pouvait se produire dans un espace d’exposition, si elle pouvait avoir autant de poids devant un auditoire d’ores et déjà rassuré par l’idée d’une distance critique et théorique qu’on laisse à sa libre appréciation. Bien sûr que non et cela Jean Roméo Kajero l’a anticipé avec tellement d’élan que je l’ai vu appartenir à une lignée de personnes pour qui la rue ne fait pas peur car elle est le lieu où circule une très grande énergie, grâce à laquelle l’oppression se fait moins sentir. Kajero poursuivit ainsi : « Je dis meurs, mourons, mourez, que tu meures, qu’il meure, que nous mourions… oui, qu’ils meurent tous… de ce matin, de ce jour, d’hier, de la semaine dernière, de toutes les années passées… N’aie pas peur de passer à autre chose, de te détacher… Détache toi… Ne t’attache pas… Passe à autre chose, vis… ». Après ce singulier développement en faveur d’une suspension des rapports de domination, je me mis à m’agiter, à m’inquiéter aussi, à comprendre que l’artiste s’inquiétait pour lui, mais aussi pour moi et en fin de compte pour un « nous » humain bien pesé. Ce texte est voué à réapparaître. Je le savais ce jour là. Il est un manifeste sur la colère et l’empathie. L’artiste a raison, nous devons mourir chaque jour de n’avoir suffisamment questionner le monde dans lequel nous vivons et la place que nous entendons prendre que ce soit pour quelques temps ou pour toujours. Jean Roméo Kajero est obsédé par ce que disent certains objets, ce qu’ils disent sur notre nature profonde et sur la condition humaine. Suis-je au bon endroit ? Suis-je libre d’y rester ? Est-ce un endroit qui me garde ou me fait partir ? Toutes les œuvres de ces dernières années tournent autour de textes gravés sur miroir, de chaises négociées par l’affect, détruites puis recomposées autrement, avec tout ce qu’elles étaient, sans rien jeter de leur poussière. Lorsque Jean Roméo Kajero  dit se demander où est sa place, la question semble venir de très loin. Elle résonne depuis ce corps d’enfant devenu un adulte qui aime, détruit et digère sans fin.

Texte : Jeanne de KAMPTCHOUANG

J'aime le monde et le monde m'aime.

L’idée de nation est indissociable de douleurs, de barbarie. Pourtant on y associe plus souvent des enjeux de civilisation et de grandeur. Seuls témoins physiques de l’idée de nation, des frontières qui ne cessent de bouger. Ainsi des pays peuvent disparaitre, naître, rétrécir, s’agrandir et devenir parfois des empires. Le temps aurait pu jouer contre le caractère immuable de l’idée de nation mais un élément attise ce mouvement : la volonté de puissance qui actualise sans fin l’instinct de domination et d’expansion qui règne sur Terre et au-delà. Cette volonté de puissance s’appelle parfois « protection nationale » pour rendre légitime la course à l’armement nucléaire qui mène au règne contemporain des armées nationales les plus destructives sur le monde et ses richesses.

En 2016 j’étais en résidence en Géorgie et je fus marqué par la présence de l’histoire de

l’ex-URSS. Tout ou presque était maculé aux couleurs militaires là où j’étais. Pendant une séance de poésie, je fus immédiatement attiré et inspiré par une vielle planche à repasser couleur vert-kaki, abandonnée et par un vieux journal où les mots du président Russe faisaient la une. Ces mots, cette atmosphère, ces réflexions m’ont conduit à l’écriture du texte-poème : Tendu détendu, qui par la suite a donné naissance à l’installation : J’aime le monde et le monde m’aime, symbolisant l’atmosphère de guerre froide qui refait surface avec la résurgence des tensions entre les nations détentrices d’armes de destruction massives.

Artiste : Jeanne de KAMPTCHOUANG

Texte : Marion ARNAUD

Take my breath away,

Voici un stand. Un stand que l’on trouverait sur la place du marché et qui forme une scène colorée, chatoyante, attirante, familière. Des cagettes aux tons pastel s’offrent à la vue et à la portée du visiteur, le sol est jonché de détritus, une balance traîne au sol tandis que la radio diffuse les nouvelles du monde, donnant le sentiment que le vendeur s’est absenté pour un moment. Voici un moment quotidien, universel et suspendu alors que le cours du monde poursuit sa route.  

Happé par une mise en scène dont il connait les codes, le visiteur est invité à jouer le jeu de l’installation. Et alors qu’il fait face à ces cagettes qui l’invitent tantôt à se servir, tantôt à observer des objets étrangement quotidiens s’opère imperceptiblement, subtilement et véritablement une grande transformation où le visiteur devient acteur de l’installation. Et alors qu’il s’interroge en maniant les objets : « mais, de quoi s’agit-il ? », l’artiste nous pose cette terrible question : « mais, par quoi est-il agi, ce visiteur qui entre ici ? »  

Au centre de l’installation, c’est ainsi toujours à lui-même que le visiteur se trouve confronté. C’est son propre regard qu’il lui faut soutenir et c’est sa propre image à laquelle est associé un prix au-dessus de la balance. Moment de bascule, de mise en abîme de sa propre place dans le jeu du Marché. Et à la question « qui est convié sur cette banale scène de la place de marché ? », on hésite alors : le spectateur ou le consommateur ? l’acteur ou le contemplateur ? l’acheteur ou l’usurpateur ?  

Dans ce moment, à la fois suspendu et continu, l’artiste nous invite à observer comment se joue anthrologiquement le processus de marchandisation du monde. Un processus en cours de construction, d’ailleurs signalé comme tel. Marchandisation de la terre et de ses fruits, marchandisation du travail et de l’activité humaine, marchandisation de l’échange enfin, qu’incarne la balance dans sa dimension la plus concrète. Ce processus familier, étrangement quotidien, à la fois suspendu dans l’abstraction et pourtant toujours en cours est cette grande transformation qui œuvre de façon invisible et qui altère quiconque s’en approche. Aliéné d’une portion de son âme devenue marchandise et confronté au souvenir de l’image de soi dans le Marché : de l’échange qui se trame entre le visiteur et l’artiste, aucun des deux ne sort entier. Bonheur individuel et utilitariste ou déni collectif ? Mais ... peut-on seulement choisir ?

 

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